En mai 2000, lorsque Vladimir Poutine est élu président, la Russie connaît « un hiver démographique sans précédent ». Entre 1991 et 1999 ce grand pays a perdu 7 millions d’habitants et son taux de fécondité est passé en 10 ans de 1,89 à 1,17 enfant par femme.
Le nouveau chef d’Etat, homme peu ordinaire issu de la Nomenklatura communiste, qualifie ce déficit démographique de « problème le plus grave de la Russie moderne ».
En fin observateur des démocraties modernes, Vladimir Poutine construit son programme de politique familiale à contrecourant de ses voisins européens. Pour lui, les solutions économiques au problème démographique sont inséparables d’une nécessaire moralisation de la société russe. Il en va de la survie de la Nation !
Dans cette logique, une intense campagne de communication patriotique est menée sur 2 fronts : un front financier pour « inciter les Russes à faire plus d’enfants », et un front psychologique et symbolique. Il s’agit, avec l’appui de l’Eglise orthodoxe de promouvoir un modèle familial vertueux.
Ce grand plan de relance de la natalité produit des effets positifs : dès 2012, le taux de fécondité des russes est supérieur à l’Union européenne (1,75 enfant par femme), le nombre de naissances est en augmentation et la mortalité a baissé.
1- La relance démographique par des incitations financières
L’effort financier fourni par les élites russes à partir de 2005 pour relancer la natalité est exceptionnel.
Le doublement de l’allocation parentale et surtout la création du capital maternel (prime d’environ 9 000 euros à la naissance du 2e enfant qui doit être exclusivement affectée au logement, à l’éducation des enfants ou à l’épargne-retraite de la mère) profitent directement aux parents.
Les femmes au foyer reçoivent une allocation mensuelle de soins aux enfants.
S’ajoutent à ces mesures incitatives, divers privilèges fiscaux, des aides au logement, au crédit immobilier, et même des cadeaux en nature aux familles (voitures, réfrigérateurs…)
Grâce à ces mesures, en 10 ans, les revenus des familles se sont accrus de 2,2 fois.
(Source : L’ambiguïté des modèles d’égalité des genres en Russie : https://droitcultures.revues.org/3555)
En toute logique, le taux des naissances s’en ressent : en 2014, il naît en Russie 1,94 million d’enfants (pour 1,2 million en 1999).
L’amélioration du système de santé grâce au plan Medvedev de 2005 et des mesures sociales comme la lutte contre l’alcoolisme, contre la mortalité infantile et celle des femmes font baisser le taux de mortalité dans le pays (de 2,37 millions en 2004 à 1,9 million en 2015).
Depuis 2012, pour la première fois en Russie, le nombre de naissances est supérieur au nombre de décès.
Selon Alexandre Latsa, journaliste spécialiste de la Russie vivant à Moscou : « les prévisions démographiques les plus sérieuses et qui sont consultables envisagent à ce jour une population allant de 147 à 152 millions d’habitants en 2031 ».
(Sources : – https://www.polemia.com/la-russie-un-ours-malade-selon-le-point-de-alexandre-latsa/
– https://www.polemia.com/demographie-russe-une-reinformation-dalexandre-latsa/)
2- La moralisation de la société russe
Vladimir Poutine, en observateur avisé, tire un constat bien amer des orientations des démocraties modernes.
Ses paroles prononcées lors de la réunion du Club de Valdaï en septembre 2013 sont sans complaisance :
« Nous voyons que beaucoup de pays euro atlantiques sont en train de rejeter leurs racines, dont les valeurs chrétiennes qui constituent la base de la civilisation occidentale. Ils sont en train de renier les principes moraux et leur identité traditionnelle : nationale, culturelle, religieuse, et même sexuelle »
(Source : Réunion du Club Valdaî-Site de la Présidence, 19 septembre 2013)
Après les années noires du communisme, tout est à reconstruire en Russie. Vladimir Poutine veut sceller l’unité de la Nation. Selon lui, démographie et identité sont intimement liées ; si la natalité dépend de la place que l’on donne à la famille dans la société, les mesures financières incitatives ne suffisent pas, il faut promouvoir un modèle familial vertueux avec l’aide des autorités spirituelles.
Bon nombre d’actions symboliques et psychologiques sont menées par les élites russes en ce sens.
– Mesures symboliques :
Dans son adresse à l’Assemblée Fédérale en décembre 2012, Vladimir Poutine lui-même invite les Russes à se réapproprier les valeurs de « miséricorde, sympathie, compassion, soutien et entraide ».
Source : « Adresse du Président à l’Assemblée Fédérale, Site de la Présidence, 12 décembre 2012 »
A titre symbolique et festif, tous les 8 juillet de chaque année, ils sont invités à fêter « la journée de la famille, de l’amour et de la fidélité », avec remise d’une médaille aux couples qui vivent ensemble depuis 25 ans.
Les personnalités « en vue » et les stars donnent l’exemple dans les journaux « people » et mettent en avant leurs familles nombreuses.
Sur les places des villes et villages, sont érigées des statues représentant une famille composée d’un papa et d’une maman au ventre arrondi, entourés de jeunes enfants.
– La Russie et l’homosexualité
L’homosexualité n’est guère encouragée en Russie. La loi de 2013 interdisant « la promotion de l’homosexualité auprès des mineurs » met le feu aux poudres. A l’heure où les démocraties occidentales adoptent le mariage pour tous, certains participants aux JO de Sotchi se scandalisent de l’attitude des gouvernants russes. A l’accusation de pure homophobie, Vladimir Poutine répond par nécessité vitale pour l’avenir du pays.
Il se défend de toute volonté de « discriminer » lors d’une interview dans un magazine local : « les personnes qui sont à l’origine de cette loi sont parties du principe que les mariages de même sexe ne produisaient pas d’enfants. La Russie traverse une période difficile en matière de démographie, et nous avons intérêt à ce que les familles aient plus d’enfants ».
(Source : http://sport.gentside.com/vladimir-poutine/vladimir-poutine-ne-veut-pas-discriminer-les-homosexuels-lors-des-jo-de-sotchi-2014_art40568.html)
– Un modèle familial vertueux
Le programme gouvernemental publié dans le document « Conception de la politique familiale d’Etat à l’horizon 2025 » met en lumière les grandes orientations sociétales à venir pour la Russie.
La famille « idéale » y est décrite comme « abritant plusieurs générations sous le même toit » et composée de 3 enfants nés au sein du mariage.
Le texte recommande des mesures pécuniaires pour entraver le divorce et l’avortement.
Il y est suggéré d’égaliser mariage civil et mariage religieux.
Ce projet est en cours d’élaboration en Russie.
(Lire à ce sujet : https://www.lecourrierderussie.com/societe/2013/06/avenir-famille-russe/)
– L’avortement en Russie
La Russie a été le premier pays au monde à autoriser l’avortement en 1920. Les femmes russes avortent 3 fois plus que leurs voisines européennes.
La Loi Fédérale sur la Santé de 2011 a tenté d’endiguer le phénomène par l’obligation de respect du délai de réflexion et la nécessité d’un consentement éclairé de la femme.
En 2013, la publicité sur les avortements est interdite.
Le Programme gouvernemental souhaite aller plus loin et instaurer une image négative de l’avortement « qui ne doit pas être perçu comme une chose banale ».
Cela se traduirait par une augmentation du soutien financier aux femmes enceintes, une meilleure information sur la procédure d’avortement, la reconnaissance du droit pour la femme d’écouter les battements de cœur de l’enfant. Même la fameuse pilule du lendemain reçoit la dénomination de « procédé abortif ! »
– La coopération des églises et de l’Etat dans le domaine de la famille
Inconcevable dans nos démocraties laïques, les représentants des trois confessions les plus nombreuses (orthodoxes, musulmans et juifs) participent activement aux débats parlementaires sur les questions touchant à la famille. Et leurs avis convergent.
Cependant, il faut bien reconnaître qu’à ce jour, ces autorités spirituelles n’ont pas réussi à faire interdire les procédés de GPA (gestation pour autrui) et de PMA (procréation médicalement assistée) qui sont autorisés en Russie.
3- La Russie à la pointe des techniques de médecine reproductives
La législation russe, comparée à celle des pays occidentaux est assez libérale vis-à-vis des techniques de médecine reproductive comme la PMA et la GPA.
Toute femme souffrant d’infertilité peut avoir recours à la PMA. Le procédé est gratuit pour les femmes en couple hétérosexuel, payant pour les célibataires. La vente d’ovocytes est légale.
Le recours à une mère porteuse est autorisé pour les femmes seules et les couples à l’exclusion des couples homosexuels. Les services de mères porteuses sont très demandés par les clients étrangers car moins onéreux que dans certains pays comme les Etats-Unis (il faut compter plus de 120 000 euros pour une GPA aux Etats-Unis contre 35 000 à 45 000 euros en Russie). La législation russe se contente de protéger la mère porteuse contre les acheteurs indélicats.
Deux projets de lois visant à l’interdiction de cette pratique n’ont pas abouti. A ce jour, la Russie demeure un centre international du tourisme reproductif.
(Source : La question de la Gestation pour autrui en Russie : http://blogs.u-paris10.fr/article/la-question-de-la-gestation-pour-autrui-en-russie-les-difficultes-juridiques-face-linteret)
Conclusion :
Pour résoudre les déficits démographiques, les choix politiques divergent d’un pays à l’autre. Alors qu’en Allemagne et en Italie, les gouvernants optent pour une immigration sans limites, les mesures natalistes et patriotiques, les retours aux valeurs spirituelles sont prônés en Russie. Cette promotion du modèle familial russe est mal comprise par ses voisins qui lui préfèrent le triomphe des droits individuels des minorités.
Dans son ouvrage, « La Russie sous Poutine », Jean-Jacques Marie, spécialiste de la Russie, rapporte l’anecdote suivante :
« En octobre 2011 (Vladimir Poutine) fait venir d’un monastère la ceinture jadis portée, paraît-il, par la Vierge Marie dotée du pouvoir de guérir les maladies graves et de favoriser la fertilité. Poutine vient en personne accueillir en grande pompe la ceinture à l’aéroport de Saint Pétersbourg pour dissuader les femmes d’avorter […] la ceinture est montrée dans douze villes, des centaines de milliers de femmes font la queue des heures durant pour l’embrasser ».(« La Russie sous Poutine »-JJ Marie-éditions Payot-mars 2016)
Le comportement de Vladimir Poutine à cette occasion est bien révélateur du fossé qui sépare nos démocraties occidentales de la Russie moderne.22